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Ce n’est que relativement récemment que l’histoire s’est penchée sur la place et la signification de l’œuvre lyrique et scientifique de Haller. Au XVIIIème siècle, on est encore bien trop proche de lui et la littérature qui lui est consacrée est avant tout dominée par d’innombrables éloges et hagiographies. Si, après sa mort, Haller le poète fut rapidement élevé au rang des figures historiques, il fallut pourtant attendre longtemps avant qu’il ne soit étudié en tant que tel. Quoique ses travaux en médecine – et en particulier sa théorie de l’irritabilité – aient connu une réception bien plus importante avec un impact direct sur la recherche, ils sont longtemps restés trop actuel pour faire l’objet d’analyses historiques.
Il a donc fallu attendre la seconde moitié du XIXème siècle pour voir l’avènement d’études critiques consacrées à Haller. Durant les premiers cent ans à venir, celle-ci se focalisa tout d’abord sur l’œuvre littéraire du savant bernois. On examina ainsi avant tout son importance pour l’histoire de la poésie et de la littérature politique (Frey 1879 [2248], Widmann 1894 [2463], Reynold 1912 [2292], Cunche 1921 [2467]), on analysa son style et son expression (Horák 1890-91 [2428], Käslin 1892 [2429], Zagajewski 1909 [2438]), on élucida ses conceptions philosophiques (Bondi 1891 [2503], Jenny 1902 [2507], Stahlmann 1928 [2513]), et on rendit hommage à sa théologie ainsi qu’à ses ouvrages apologétiques (Baggesen 1865 [2519], Peters 1937 [2544]). Ludwig Hirzel, dans l’importante biographie qui précède son édition critique des poèmes (*Gedichte 1882 [0075]), s’est, lui aussi, principalement attaché à décrire l’œuvre littéraire de Haller.

À l’exception de l’analyse de Neuburger 1897 [2837], les ouvrages scientifiques du savant bernois n’ont quasiment pas été étudiés avant le XXème siècle. Ils sont bien sûr mentionnés dans les manuels d’histoire des différentes disciplines mais n’y font pas l’objet d’un examen approfondi. Dans l’Entre Guerre paraissent deux travaux qui vont devenir déterminants pour les recherches ultérieures. Il s’agit d’une part de l’édition de la correspondance entre Haller et Johannes Gessner par Henry Sigerist (Sigerist 1923 [1562]) et d’autre part d’une étude de Stephen d’Irsay contextualisant la démarche scientifique de Haller dans l’histoire des idées (Irsay 1930 [2505]). Ces deux aspects – l’édition de sources et l’analyse de l’œuvre scientifique – ont été poursuivis à partir des années 40. Erich Hintzsche édita les récits de voyage de Haller (*Tagebuch Studienreise 1942 [26], *Tagebücher 1948 [22]) et plusieurs correspondances (avec Morgagni, Somis, Caldani et Tissot). Ces travaux d’éditions furent ensuite repris par Otto Sonntag (correspondance avec Bonnet, Saussure et Pringle). De nouveaux instruments de travail indispensables vinrent s’ajouter aux matériaux existants: la première bibliographie des écrits de Haller (Lundsgaard 1959 [1782]), l’inventaire de ses manuscrits déposés à Milan (Pecorella Vergnano 1965 [1816]) et le catalogue de sa bibliothèque (Monti 1983-94 [1833]). C’est aussi Hintzsche, avec la collaboration de Heinrich Buess, qui dirigea les premières études dédiées spécifiquement à l’œuvre médicale de Haller. Peu après, d’autres chercheurs s’intéressèrent tour à tour à sa botanique (Zoller 1958 [2936] und Frey 1964 [2916]), à sa conception générale de la science (Sonntag 1971 [2568]) ou à sa prose scientifique (Cetti Marinoni 1984a [2889]). Mais on accorda une attention toute particulière à sa médecine et surtout à son embryologie et à sa théorie de l’irritabilité (Duchesneau 1982 [2654], Monti 1990 [2675], Cherni 1998 [2769], *De formatione cordis 2000 [0904]). D’autres études se focalisèrent sur sa fonction de médecin pratiquant (Boschung 1977 [2855], Boschung 1985a [2856]) et sur des sujets spécialisés tels que sa physiologie de la vue (Beyer 1983 [2803]) ou son importance pour l’odontologie (Böddiker 1995 [2887]) et la médecine légale (Rohrbach 2002 [2905]).

Ce nouvel intérêt pour l’aspect scientifique de la vie et de l’œuvre de Haller ne diminua pas pour autant l’attention portée au littéraire, bien au contraire. On analysa de façon détaillée quelques uns de ses poèmes (Stäuble 1953 [2397]), on examina le contenu philosophique de son œuvre poétique (Tonelli 1965 [2517]), on étudia l’importance de son activité de critique littéraire (Guthke 1962 [2477], *Guthke 1970 [0245]), on exposa sa conception de l’éducation et de l’enseignement (Münger 1971 [2456]), on réévalua Haller en tant que poète (Helbling 1970 [2272]), on retraça l’histoire de la réception de ses poèmes (Kempf 1986 [2471]), et on proposa enfin un bilan de la recherche accomplie jusqu’alors (Siegrist 1967 [2301]).
Ces études des aspects littéraires et scientifiques de l’œuvre de Haller, qui furent entreprises simultanément mais sans être reliées les unes aux autres, amenèrent à s’interroger sur l’unité de sa pensée – une question qui s’imposait mais à laquelle on avait évité de répondre jusqu’alors. Richard Toellner fut le premier à s’intéresser à cette question (Toellner 1971 [2515]). Son étude est la seconde, après celle de Stephen d’Irsay, à vouloir donner une vision totale de la pensée et de l’activité de Haller. Au regard de la richesse de l’objet étudié et de l’étendue de la problématique, il avoue cependant que son travail ne forme qu’une étape préliminaire pour de nouvelles recherches et questionnements (p. xi).

Dans les années 90, la recherche connu un renouveau grâce au projet Haller bernois. Celui-ci mit l’accent sur la correspondance et la bibliographie mais fut aussi à l’origine d’études sur les concepts d’irritabilité et de sensation chez Haller (Steinke 2005) ainsi que sur sa critique littéraire (Profos 2009). Les diverses manifestations organisées à l’occasion du tricentenaire de sa naissance conduisirent à l’édition de cinq recueils. Ceux-ci ont grandement participé à élargir nos connaissances de la vie et de l’œuvre de Haller. Steinke/Boschung/Pross 2008 réunit pour la première fois en un volume une description de tous les domaines importants de la vie et des travaux de Haller. La Société Suisse pour l’Étude du XVIIIème Siècle (SSEDS) a édité pour sa part un numéro spécial consacré principalement à l’activité littéraire de Haller (Candaux et al. 2008). Les Académies suisses des sciences ont réalisé un recueil intitulé « Les paysages et glaciers de Haller » (« Hallers Landschaften und Gletscher »). Un autre volume « Albrecht von Haller im Göttingen der Aufklärung » réunit une série d’exposés tenus à Gottingue (en cours d’impression) [(http://www.wallstein-verlag.de/9783835305731.html]. Enfin, un ouvrage en deux volumes est en cours de préparation. Il recueillera les exposés présentés à Berne à l’occasion du congrès intitulé « Les pratiques du savoir et la figure du savant au XVIIIème siècle » (cf. projet en cours).